Cormoran et le dernier vol de Maurice

L’histoire de l’avion légendaire « Cormoran » et de Maurice Itasse qui a disparu le 20 Juillet 1948 avec l’avion, lors du premier essai en vol.

Je m’appelle Maurice Itasse. Je suis né à Liesse, dans l’Aisne, le 25 Mai 1909 d’un père jardinier et d’une mère au foyer. J’ai eu un frère et une sœur. Je me suis marié à Louise Bourlard et nous avons eu une fille Christiane.

 

J’ai participé au 3ème Tour de France aérien du 21 au 30 Juillet 1933, en tant que mécanicien et mon ami surnommé « La Volaille » en tant que pilote à bord de la « Cage à poule ». Sur 72 avions engagés 59 étaient au départ d’Orly. Première étape Orly – Dijon, deuxième étape Dijon – Cannes puis Saint-Etienne, Montélimar, Avignon, Marseille, Nîmes, Perpignan, Biarritz, La Boule, Deauville, Bruxelles et retour à Buc à côté de Toussus-le-Noble. Nous avons fait partie des 50 appareils qui ont terminé ce tour. Pour cette épreuve je me suis fait confectionner un manteau de cuir afin de me protéger, car les deux postes de pilotages étaient à l’air libre. Ce manteau est conservé jusqu’à ce jour par mon neveu Gérard.

Cormoran - old black and white photo with his team

Entre le moment où le fuselage du prototype NC.211 001 « Cormoran » fut présenté au 17ème salon aéronautique et celui du premier essai en vol, plus de 18 mois vont s’écouler. Notamment en raison d’un problème sur les jambes de l’atterrissage principales. Son fuselage, sorte de gigantesque wagon rustique, long de 30,50 m et sans prétention aérodynamique, supportait une aile de 44 mètres d’envergure. Le Cormoran disposait de quatre moteurs S.N.E.C.M.A. 14 R de 1200 chevaux, accolé sur la voilure mi-haute. Son poids à vide était de 21 tonnes et il était prévu de décoller à 41 tonnes. Le fuselage plus long de 20 m que celui du « Noratlas » et de section rectangulaire, avait fait grosse impression.

 

L’avion est monté dans les usines S.N.E.C.M.A. à Toussus-le-Noble par les personnels du hangar Farman, dénommé le Mérantais par les anciens. Sous la direction de Monsieur Lucien Coupet il est peint en bleu pale avec une bande plus sombre partant du nez pour s’effacer derrière les ailes. Et il est décoré à l’avant d’une tête de cormoran.


Les essais préliminaires, points fixes et roulages au sol ayant donné satisfaction, le « Cormoran » était prêt pour son premier vol dès le début Juillet 1948. Malheureusement les conditions atmosphériques défavorables obligèrent l’équipage à patienter quelques jours. Avec Louis Bertrand, commandant de bord, Abel Nicolle second pilote, Robert Facomprez radio, Marcel Constum mécanicien, et moi-même mécanicien d’essai en vol totalisant 525 heures de vol, le 20 Juillet, par un temps favorable, le premier vol est décidé par Fernand Lasne, chef pilote d’essais. Aux commandes d’un petit monomoteur, il décolle le premier pour accompagner le « Cormoran » lors de son « baptême de l’air ».

Cormoran - black and white photo taken in front of the aircraft
Cormoran - old black and white photos of Maurice's family
Cormoran - black and white photos of the Atelier Farman
Cormoran - Philomene and Jules identity cards

Pendant ce temps, le gros hanneton dont le fuselage soutenu par un train tricycle, semble frôler le sol, se dirige lentement pour faire un point d’envol. En début de bande, Louis Bertrand fait un long point fixe, puis il met les gaz à fond, avant de lâcher les freins, car la piste fait à peine 1 000 mètres. C’est peu pour ce géant bien qu’il soit « léger » : peu de carburant et quelques équipements d’essais comme charge. En effet, le vol prévu doit être court. Quelques minutes seulement pout tâter le comportement de la machine et aller se poser sur le terrain militaire de Villacoublay où doivent se poursuivre les essais.

 

En vol, du côté de Saclay, Lasne se rapproche assez du « Cormoran » pour apercevoir dans la cabine de pilotage l’équipage prouvant par signes le traditionnel : « Tout va bien à bord ». 

 

En exécutant une vaste courbe pour se placer sans virage excessif face à l’ouest, dans l’axe de la piste, Louis Bertrand juge le moment venu de faire abaisser les volets… l’avion se trouve à 300 mètres environ, à la verticale du bois de Verrières.

Mais à ce moment, l’avion amorce un salut, le nez s’abaisse sur l’horizon… et continue ! C’est le piqué à mort… Le « Cormoran » s’écrase dans les arbres.

Cormoran - old journal article cut off
Cormoran - old journal article cut off
Cormoran - old journal article cut off
Cormoran - Itasse family book

Cinq hommes, cinq spécialistes des essais, périssent ainsi dans cet accident. Ils seront faits chevaliers de la Légion d’Honneur à titre posthume.

Mon père et on frère étaient présents sur le terrain de Toussus-le-Noble le jour de ce premier essai en vol, auquel je participait en leur précisant ma volonté de ne plus vouloir dorénavant participer à de futurs essais en vol. Par ailleurs, l’ensemble de l’équipage de ce premier essai en vol ne souhaitait pas effectuer cet essai. 

 

Que s’était-il passé ?

 

Une seule chose est certaine : les volets ont été abaissés à 40°, leur débattement maximum. Leur position a entraîné un fort couple à piquer que le pilote n’a pu compenser. Auraient-ils réussi à maîtriser l’appareil à une plus grande altitude ? Auraient-ils pu remonter les volets ou ceux-ci étaient-ils bloqués ?

 

Suite cet accident, une enquête a été menée dont le dossier est archivé au palais de justice de Versailles.